Roses des Sables et Mille Perthuis
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Daniel ARANJO

TOUT-TERRAIN

SAHARA FRONTIÈRE ALGÉRIE/NIGER
 

ÉTUDE SPATIALE

Prix de la Critique 2003 de l’Académie française, est aussi poète et dramaturge (un texte créé tous les ans par le Théâtre du Nord-Ouest, Paris IX: Un Requiem en français ; Agamemnon, Atlantica éd. ; Les Choéphores ; Dies iræ en 2008). Poèmes disponibles sur quelques sites Internet, en particulier étrangers (Babelmed/Trans-ports).

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SAHARA, été 1976


    Mon premier contact, pas banal, avec l'Algérie fut In Guezzam, l'été 1976, alors que je remontais, avec rudesse, du Centrafrique en Land Rover à double débrayage, lèvres gercées par l'air depuis l'Aïr, chech targui pour tout bâillon, parce que sans pare-brise (et que celui que nous avions trouvé dans une casse à Agadès, même fourbi au gasoil, restait trop sale, et lacéré comme une tempête à coup de cailloux ou de gros sable à essuie-glace). Et c'est vraiment quelque chose de considérable que de découvrir enfin le Nord fertile, sa façade maritime, ses ruines romaines, après être longuement, et périlleusement venu du Sable absolu, avec sa piste non tracée, ses balises-bidons de sable avec un pieu fiché dedans (deux jusqu'à l'horizon, une parfois seulement) et son trafic réduit à un seul véhicule-jour - sautant sans trop dévier de cercle brun en cercle brun (là où le sable est ferme et caillouteux) à travers l'étendue jaune ou blanche où l'on s'enlise vite et peine à progresser.

*

Entre Rien et Tout. Sur le toit sableux du monde. Et nous dûmes revenir sur nos traces au poste nigérien, parce que perdus ; et que nous avions mal compris le chemin indiqué par les douaniers d'Assamaka. Nous avions pris trop vite à droite. Et comme nous ne voyions toujours pas la moindre balise, avions fini par rebrousser chemin et retrouver avec quelque joie le seul arbre (grand épineux), toujours entre rien et tout, que nous ayons aperçu à l'aller à travers la poudre-gravier entre Nord-Niger (le sable, ce fluide verglas sous les coups de volant, est aussi terrifiant que la neige), et Sud-Sud-Algérien (où ? pour l'heure, la route, c'est la volonté tenace et butée de notre vieille Land qui mâche, mâche le sable, après avoir mâché la tôle trépidante et ondulée du Sahel sous la mitraille des essieux). Sainte ferraille ! Tienne la mécanique. Elle tient, tient encore ; le moteur tourne, tourne à peine ; comme nous. Parlons peu. Conduisons à tour de rôle. Assamaka, c'est cette image : un muret de pierraille autour d'un pré de sable, où doivent paître les quelques chèvres de la garnison. Nous y revenons. Être partis à jamais d'ici ; et y revenir. Les douaniers avaient vu notre erreur. Et auraient fait des recherches, si nous n'étions pas revenus. Combien de kilomètres entre Assamaka et In Guezzam ? Un demi-jerrican d'essence ? La quantité d'essence, voilà encore le meilleur étalon, en tout ce vide et tout cela. Silence. Absence. Moteur. Brouillard plâtreux. N'y même pas penser. Vent de neige à souffle d'avalanche au ras du sol sans sol. Un burnous, là-dedans, semblerait lutter contre l'hiver. Or combien fera-t-il, par ici, à deux heures de l'après-midi ? Ne pas parler de solitude, ni du danger. C'est au repos qu'on y pense surtout. On s'arrête, mais le paysage (ou ce qu'il en reste) ne s'arrête pas, et fuit rejoindre l'horizon quelque temps. Fatigue, faille : qu'est-on venu faire ici ? Ici, pour l'heure, c'est quelques arpents de sable presque blanc. Pourquoi ceux-ci plutôt que d'autres, pauvrement et éternellement semblables et différents ? C'était donc ça, le Sahara ? Une épreuve de conduite… l'épreuve pâle et tuante du présent au regard de l'attente infinie. Sortir d'ici !

*

    Avant Tamanrasset. Il va pleuvoir. Il repleut après trois ans. Odeur fertile d'ozone, que j'ai du mal à identifier, parce que je la sens pour la première fois de ma vie, monter du sable immense et roux. Didier, l'autre conducteur, me dit que cette odeur dense et tiède que je cherche à cerner depuis l'horizon est assez fréquente en Espagne sur d'arrière-plages surchauffées, quand il y pleut l'été. Un moteur de camion tourne autour de nous depuis les horizons ; depuis un horizon, puis depuis l'autre. Non ce n'est pas l'écho de notre propre capot. Un mirage sonore (oui, c'est exactement cela), coincé sous la touffeur terreuse et froide des nuages. On s'enlise dans un fossé meuble d'eau, que l'on avait sous-estimé et à peine gardé, au fond de la rétine. Orage ocre et ras. Le bruit de camion, toujours, autour de nous, de loin, de près, de très près, de loin à nouveau. On ne le verra jamais.

*

    Plus loin ; bien plus loin. Échine ; et sable du chemin de sable. Puis quelques pierres, ici et là, qui se mettent à border la piste. Quelques maisons de chaux ; et peut-être une petite mosquée, badigeonnée de poussière. Sacré anonyme et objectif de l'espace ; tracé initiatique et nu, mais entre quoi et quoi ? Continuer ; se sortir d'ici, où l'on est pourtant venu ; chercher quoi ?

*

Avant Ghardaïa, peut-être. Oasis au naturel, sans palme ni palmeraie, par des canicules de roc, où je n'aurai pas du moins à rêver. Pas plus qu'on ne rêve, sur tout le kilométrage aride d'Arlit, devant une mine à ciel ouvert et à hauts pneus et hautes bennes Caterpilar évasées d'uranium - sous cette pièce de monnaie usée, là-haut, à force de poussière (soleil).
    Brûlure de la course. Le Désert, Dieu sans les hommes? Je n'en aurai jamais senti la moindre fraîcheur.


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