Episode
précédent : Episode 22 : In Guezzam |
De
quelle infraction me
suis-je rendu coupable alors que je n'ai encore entrouvert ni la
portière de la
voiture ni la bouche ? Que peut-on nous reprocher avant la
présentation du
moindre papier ?
Le rideau se lève sur une pièce dont le suspens
repose
sur la qualité de nos répliques. Le metteur en
scène force nos talents d'improvisation. Nous ne pouvons
décevoir son publique
captif rassemblé de fait autour de la scène
improvisée.
Le
policier - ce peut en être un - finit par consentir
à révéler les
raisons de son attitude inhospitalière.
- Vous êtes en surcharge !
Il doit croire qu'en ce lieu dénudé, aucune
ombre, pas même celle du ridicule, ne
risque de l'atteindre.
Je regrette à posteriori de m'être
débrouillé pour échapper à
l'amende. La
photo de la contravention aurait égaillé cette
page. Mais un refus de
palabre eût été une faute "lourde" : la
négation du pouvoir
discrétionnaire de ce fonctionnaire exilé au fin
fond du désert. Une
faute de goût. Une impolitesse pire que celle de ne pas
marchander un achat. Un
mépris de la personne.
La seconde
préoccupation de l'homme en treillis
a trait à nos passeports qu'il
récupère.
Par la force des choses, nous sommes consignés pour la nuit.
Nous ne sommes pas seuls. Outre les deux camping-cars déjà rencontrés à plusieurs reprises, nous faisons connaissance avec un jeune suisse organisé et prévoyant. Il voyage en Niva 4/4.
Un couple français en 2-chevaux camionette se rend au nord Cameroun où monsieur a "coopéré" naguère à la mission de Maroua en lieu et place de son service militaire. Ils se rendent en "pèlerinage en terre connue.
Le Cameroun, le Cameroun... pourquoi pas le Cameroun. L'idée de nous y rendre commence à me traverser l'esprit. Tant qu'à passer la soirée bloqués à Assamaka avec des compatriotes, autant en profiter pour bénéficier de leur connaissance du terrain et peut-être même de leurs connaissances sur le terrain. L'homme parle de l'évêque de Maroua, un Français, qui...
Au moment de grimper dans la tente, je suis convaincu que le Cameroun sera notre destination.
Sept heures sonnent le début des formalités.
Le fort, secret branlant de la défense nationale, ne se visite pas. Une pièce délabrée sert de bureau de douane et donne une idée de l'aspect intérieur du bâtiment. L'installation est provisoire ; on annonce la mise en service imminente d'un préfabriqué tout neuf.
Une fontaine à la libre disposition de tous, déverse une eau chaude et sulfureuse, idéale pour la toilette mais agressive au palais. Les touareg prétendent qu'elle possède la propriété de régénérer les guerbas. (Outres en peau de chèvre)
La fouille systématique du contenu des véhicules représente la principale distraction de ces fonctionnaires exilés. Les bagages doivent être déballés dans le sable auprès de la voiture. Nous sortons un minimum de choses, pour faire preuve de bonne volonté.
Cette
exposition sans cesse renouvelée concourt officiellement
à la lutte
contre le trafique d'armes et de marchandises prohibées.
Elle permet
surtout une "farfouille" vers le petit cadeau opportun pour fluidifier
les formalités. Je comprends que ces hommes
retirés du monde se
trouvent forcés de s'approvisionner hors des
supermarchés. Même si
l'étalage se fait en "grandes surfaces".
Notre douanier manque justement de "batteries" pour sa radio.
Je retiens que désormais pour faire "local", il ne faut plus
parler de
piles mais de batteries.
Question armes, notre fusil-harpon attire l'attention. C'est pourtant sans trait d'union qu'il se présente : fusil d'un côté et flèches très emballées, ailleurs. Mes explications bannissent le "chasse", fût-elle, dans ce cas, sous-marine. En revanche, je me fais intarissable sur la pêche en mer... dont j'ignore tout. Mes interlocuteurs, heureusement, n'ont jamais navigué au-delà des mers de sable.
Aux
frontières africaines, chaque mot compte. Il ne faut pas
penser revenir
sur une phrase mal comprise ou mal interprétée.
Il n'y a pas de "Chef,
c'est pas ce que j'ai voulu dire !"
Ce qui est dit est dit.
Ce qui est compris, reste compris ainsi.
Au
fond d'un sac, l'homme découvre maintenant le
combiné téléphonique de
mon émetteur-radio. (la cibi qui ne s'appelait pas encore
cibi, n'était
autorisée nulle part, pas même en France)
- Qu'est-ce que c'est ? interroge le douanier.
Pris au dépourvu par cette seconde question, je lui répond ce qui me passe par la tête.
- Touche pas ! Touche pas ! C'est à mon père, il est médecin ! Il a oublié ça dans la voiture. Je ne sais pas à quoi ça sert mais il ne faudrait pas qu'il rentre du sable dedans !
L'explication met fin au premier acte des formalités. Il en est un second qui ne supporte pas d'entracte.
L'ambassade de France à Niamey exige que chaque français pénétrant au Niger détienne une somme minimum de trois mille francs pour faire face à un éventuel rapatriement.
Les douaniers d'Assamaka ont trouvé cette mesure distrayante à contrôler et l'ont étendue à tout étranger désirant entrer dans le pays.
Je
ne suis pas gêné par ces dispositions mais bon
nombre de "descendeurs
de voitures" ne disposent que de leurs véhicules comme
caution. Et
comme ils sont sensés ne pas les vendre en cours de route !
Il n'est pas rare qu'ils se regroupent et présentent chacun
leur tour
la même liasse de billets. Certains montrent des cartes de La
Samaritaine ou du Bon Marché, qu'ils baptisent "carte de
crédit".
Quelqu'un aurait même exhibé un ticket de
métro et prétendu que le
nombre imprimé dessus, correspondait à ses avoirs
en banque.