Ce feuilleton relate le
tout premier voyage en
Afrique de l'auteur. Il n'a jamais fait l'objet de
publication mais illustre les paysages et certains lieux dont il
est question dans ses livres.
Videz la
voiture ! ordonne le douanier. C'est pas la peine,
chef ! J'ai la liste de tout ce que nous transportons. En effet, avant de
partir j'ai noté tout ce que je jugeais
nécessaire pour le voyage. J'ai pu ainsi m'assurer, au
moment de charger la voiture, que nous n'oublions rien. Ou si peu. Ces deux feuilles
dactylographiées vont nous faire gagner un temps
précieux. Le fonctionnaire ne
s'attendait pas à ça. Le temps qu'il revienne de
sa surprise j'étais passé aux
formalités suivantes. Déclaration de devises.
Change... Le moins possible. Les meilleurs taux ne sont pas
proposés en douane. Mais ça je ne le sais pas
encore. Une règle
constante en matière de franchissement de
frontière : partir de suite dès qu'on le peut.
Traîner dans les parages fait prendre le risque qu'un
douanier se ravise ou qu'un confrère se prenne d'envie de
doubler les réjouissances à moins qu'il n'estime
qu'il n'y a pas encore été
procédé. Une vingtaine de
kilomètres nous conduisent à Tetouan.
Tétouan a eu une importance
particulière durant la période islamique,
à partir du VIIIesiècle, comme
principal point de jonction entre le Maroc et l'Andalousie.
Après la Reconquête, la ville a
été reconstruite par des
réfugiés revenus dans cette région
après avoir été chassés par
les Espagnols. Cela est visible dans l'architecture et l'art qui
témoignent de fortes influences andalouses. C'est l'une des
plus petites médinas marocaines, mais sans aucun doute la
plus complète, dont, ultérieurement, la
majorité des bâtiments sont restés
à l'écart des influences extérieures.
C'est pas moi qui le dit mais c'est sûrement vrai.
La Medina, nous nous y sommes aventurés. A ce que j'en
entends dire aujourd'hui par les médias, c'est un lieu
très prisé.
En 1980, j'ai cru avoir passé la porte
à remonter le temps. Je me suis vu propulsé au
Moyen Age.
Je
ne peux aujourd'hui que décrire mon impression. Je n'ai
aucune photo d'époque. Il ne me serait pas venu à
l'idée d'en prendre.
Le contact avec l'Afrique aura
été brutal. C'est
comme tomber dans une piscine quand on ne sait pas encore nager.
Généralement on y descend progressivement, par le
petit bain. C'est ce que nous pensions avoir fait avec le passage
à Ceuta. Mais entre le petit bain et le grand bain il y
avait une marche. Que dis-je, une faille.
La faille va atteindre les profondeurs abyssales
lorsque...
J'avais
appris à l'école - et je ne dois être
le seul ; qui n'a pas eu un professeur de mathématiques qui
n'a jamais mis les pieds en Afrique ? - j'avais appris, donc, que le
plus court chemin entre un point et un autre était la ligne
droite. A l'époque, pas trop contrariant, j'avais eu la
faiblesse d'y croire. Aussi , pour une fois que j'avais l'occasion de
mettre cette théorie en pratique, je décidais que
pour rallier Ceuta à la frontière de
l'Algérie je suivrais la
côte au plus près.
Nous
n'allons tarder à nous apercevoir que ma ligne droite est
fort sinueuse,
car elle traverse une montagne dont
j'avais, certes, entendu parler, mais sans plus : le Rif. Rif en
berbère, signifie "extrémité". C'est
bien le mot qui convient pour traduire le sentiment que nous avons eu
d'atteindre notre dernière extrémité.
Il faut
dire que s'engager ingénument sur cette route, pour
traverser "la montagne au hachisch", le soir tombant, pouvait
guère engendrer d'autre sentiment que celui de
l'inquiétude. Pour un premier soir sur le continent
c'était peut-être trop. Mais notre objectif est
l'Afrique Noire. Nous n'entendons pas traîner dans des
contrées, certes magnifiques, mais faciles à
revenir découvrir plus tard. Quand il fera plus chaud. Quand
on ne sera plus en âge ou en mesure d'aller plus loin.
Le Rif
de 1980 n'est pas le Rif de 2007. Un peu de surf sur Internet m'en
persuade.
L'impression
de solitude sur cette petite route est atténuée
par de très rares véhicules que nous croisons.
Que nous espérons croiser, tant l'impression qu'il vont nous
rentrer dedans est grande. Il semble qu'ils se rabattent à
la "dernière extrémité".
La
sensation d'isolement s'estompe complètement à
mesure que
nous progressons. Des silhouettes de plus en plus fréquentes
apparaissent dans les phares de la Renault 6.
Que
veulent ces enfants,
adolescents et adultes qui s'essayent à la corrida devant
notre véhicule poussif ?